• *111* Résigne-toi, mon coeur

     

    Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
    L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
    Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
    Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

    Résigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.

    - Baudelaire

     

     

    Elle s'empare des ciseaux sans une hésitation. Schhhhhhhhhhlaaaaaaaaaaack. Bruit de métal. Des mèches blondes tombent par terre, la tresse fait un bruit épais contre le plancher. La nuque s'offre à la lumière et à l'air, couronnée de duvet fin, comme un oisillon nouveau-né.

    C'est un acte symbolique, une renaissance. Étrangement, le monde semble plus facile à affronter maintenant.

     

    ***

    Elle est défaite, fanée. Flétrie déjà la beauté de ses vingt ans, âpre la douceur qui aurait dû être sienne à son âge ! Elle a honte soudain, devant l'image que lui renvoie le miroir. Ces yeux cernés, ces yeux éteints, ce sont les siens. Où est passée la fille préférée, l'héritière au front haut et à la démarche glorieuse ?

    Elles sont minés par l'absence de deux personnes.

    Bravo Mina, quelle héroïne antiféministe tu fais, incapable de vivre sans les hommes ! Inconsciemment, tu t'es perdue en chemin : tes passions, tes buts, ce qui te faisait vibrer, tu as tout oublié, tout déposé au pied de l'amour. Était-ce le bon choix, brûler tout, tout vivre d'un coup, sans mesure, extrémiste des sentiments ? Tu ne le sais pas, tu basculeras toujours entre regrets et conviction d'avoir fait au mieux.

    Que reste-t-il quand la passion n'est plus ? Le devoir, Mina. Fais ton devoir, puisque tu as consumé la passion par les deux bouts. Tu pleures ? Non ? Tu vas le faire encore, tu verras, et tes larmes auront le goût des oranges amères. Tu relis les mots que tu as couchés sur le papier, et tu as honte.

     

    Je ne verse plus aucune larme. Mes yeux ont l’aridité d’un désert sous un soleil cruel. Je suis un chiffon oublié dans un coin, que la poussière recouvre.

    La Douleur martèle mon crâne de ses poings infatigables, tout le jour, dès que je quitte l’oubli du sommeil. Ah, Douleur ! Laisse-moi m’abîmer dans le noir ! Laisse-moi t’oublier (m'oublier) un instant, tais-toi, déserte mon esprit, laisse-moi juste être juste une bête, une bête sauvage et obtuse qui n’a d’autre but que manger, boire, et dormir et uriner ! Un bête qui ne pense pas qui ne sent pas.

    Comme mon corps est pesant soudain… Chaque membre est lourd et ne s’agite qu’avec lenteur, ma tête pèse sur mes épaules. Je me demande “Es-tu vraiment mort ?” Ma voix retentit dans l’espace, rebondit sur les murs, la maison vide donne à mes paroles un drôle de son cave. Ils sont tous partis.

    J’avais tout et j’ai tout perdu. J’ai voulu le maître, j’ai voulu l’amant, j’ai voulu l’ami, je les ai eus, en deux personnes différentes, mais je les ai eus. Et maintenant je n’ai plus ni l’amant, ni le maître, ni l’ami. Je n'ai plus non plus ni mère, ni soeurs, ni frères…

     Juste moi. Seule, suffocante, salée de mes larmes d’hier qui ont séché sur ma peau.

    Ils sont tous partis au moment où j’aurais eu le plus besoin d'eux, besoin d’un autre corps contre lequel j’aurais blotti ma propre chair, un corps à la tiédeur vivante qui m’aurait permis de T’imaginer encore à mes côtés, qui m’aurait bercé en son giron. Je me parle à moi-même pour ne pas devenir folle, folle de ce vide.  

     J’invoque Ton Souvenir. Comment est-ce possible ? Ne reverrai-je donc  jamais Tes yeux qui m’étaient si doux, Ta bouche molle, Ton corps qui savait si bien épouser le mien ? Et Ta voix ! J’en ai déjà perdu le son… Et Ta peau dont le goût s’est effacé de mes lèvres… Et Ton visage déformé par la jouissance... Même si j'aime à nouveau, jamais ils ne seront les mêmes.

     Je chante une mélodie qui vient de je ne sais où, je répète ton nom jusqu'à ce qu'il me paraisse un mot banal, absurde, sans sens. C'est un sortilège que je lance au front de ton absence. Je sais que tu n'es plus là. Et pourtant chaque matin je m’éveille en pensant qu’il me faut te dire quelque chose (Je t'aime), comme si tu étais encore là. Et je repense à nos conversations, à nos rires, à nos nuits... Tout Te rappelle à moi.
    Désormais, tu ne pourras pas me répondre. Alors je hurle, je hurle ces mots aux murs, je me sens encore vivante pour quelques secondes, comme si la meilleure partie de moi n’était pas partie avec toi...

     

    Tu n'as plus envie de vivre. Le monde est déserté par la magie d'avant. C'est vrai que sans passion, le temps est bien long... Tu ne te sens plus la force de rien. Vide, nulle. Tu secoues la tête pour chasser cette voix envahissante. Déjà tu remplis un verre d'eau et y plonges un cachet effervescent. « Pschiiit » irritant. Vite, retrouver le noir du sommeil, oublier tout. Tu t'écroules encore en sanglots silencieux, mais les larmes ne coulent plus. Tu t'administres deux gifles, de rage. Puis sur une impulsion, tu attrapes ton portable et tapes un sms, l'envoies sans le relire. « Reviens. J'ai besoin de toi. Je suis désolée. Reviens, je t'en prie. » Larmoyant, pathétique, comme toi à l'instant. Nouveau sursaut, la rage monte en vapeur dans ta tête. Tu prends toutes les boîtes de médicaments sur ta table de chevet et les vides dans ta paume. Tu les portes à ta bouche...mais au dernier moment tu les laisses tomber à terre. Ils roulent sur le parquet, billes d'adultes ou bonbons étranges. Tu te recroquevilles sur les draps, sommeil mêlé de rêves.

     

    Des bras t'étreignent, tu t'y accroches. Une bouche embrasse ton front, consolatrice, se fait tendre puis ardente alors qu'elle retrace les sillons salés des larmes sur tes joues, sur tes lèvres sèches, car ça y est, tu pleures enfin, tu suffoques dans cette chaleur terriblement humaine que tu avais cessé d'attendre ; et cette bouche écrase la solitude sous ses baisers. Comme quelqu'un qui n'a plus rien à perdre, tu fonces et t'oublies dans cette chose dont tu avais perdu le goût, qu'on te prête un instant. Elle n'est plus teintée d'innocence mais d'amertume désormais. Tu n'as plus de réserve, plus de pudeur. Ses mains sont partout, elles ont le velouté des aurores lorsqu'elles réveillent tes sens enfouis.

     

    Cette étreinte n'est pas coupable, c'est un miracle, ou plutôt tu es son miracle puisque c'est elle qui te sort enfin la tête hors de l'eau. Et ce sourire lumineux sur son visage apaisé, céleste, ce sourire qu'elle te donne est moins une grâce qu'une libération. Quand tu ouvres les yeux le lendemain, tu es seule. Seule mais changée. Révélée. Rêve ou réalité ? Tu ne sais plus. Tu penches pour le mirage quand tu aperçois un objet incongru : une tresse blonde, longue, posée sur la commode comme une offrande sur un autel. L'éternelle tresse de Bethsabée.


    Réalité.

     ***

     

    Abis, et Bethsabée. Dernière scène. L'une debout, l'autre assise, phrases bandées comme des arcs, prêtes à fuser. Grandes baies vitrées, et dehors, crépuscule mortel.

     - Bravo, belle œuvre !

    - Fallait que quelqu'un le fasse.

    - Ce n'était pas à toi. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

    - P'têt' parce qu'il y a rien à comprendre ?

    - C'est que d'habitude, tu ne te mêles de rien sauf de ce qui te concerne directement, alors que là...

    Abis marque un temps avant de répondre.

    - Je trouvais ça trop dégueu pour la laisser faire. Le pauvre JL !

    - Arrête, tu te fous complètement de JL ! Pourquoi ? Qu'est-ce que tu cherchais ?

    - Rien ! Cherche pas, y'a pas de raison, je pouvais juste pas faire comme si j'avais rien vu et la laisser baiser ce vieux salaud pendant que l'autre voyait rien, enfin voyait peut-être mais disait rien !

    - Ah parce que tu es philanthrope maintenant ?

    Bethsabée a la mâchoire serrée de ceux qui mordent leur colère et l'étouffent pour ne pas la laisser éclater trop vivement. Elle s'acharne :

     - Je veux savoir. Pourquoi ?

    - Mais qu'est-ce que t'as aujourd'hui ? T'es chiante ! C'est parce que je touche à ta sœur, c'est ça ? C'est malsain d'adorer sa sœur à ce point tu sais...

    Bethsabée laisse passer la remarque sans rien dire mais ses yeux brillent : larmes de tristesse ou de de rage ? Elle-même ne sait pas. La seule chose qu'elle sait, c'est que quelque chose est en train de mourir dans cette pièce. Quand elle en sortira, rien ne sera plus pareil. Elle laisse ici ses derniers morceaux d'enfance. Elle ne lâchera pas. Pas cette fois. Trop de choses semblent être liées à Abis pour que cela soit anodin. Trop de hasards peu hasardeux, de problèmes depuis qu'elle la fréquente, trop de soirées passer à pleurer, à subir, à oublier par amour au point de s'oublier, elle, dans tout ça, son bonheur et sa fierté. Il est un point de non-retour ou toute relation doit cesser, une équation tristement réaliste : quand la somme des malheurs et déchirures communs devient supérieure à celle des bonheurs partagés. Elle garde son calme, et dit d'une voix sereine :

     

    - Arrête d'éviter ma question, et réponds-moi.


    Et elle observe Abis. Elle ne lui trouve plus le charme étrange, l'aura mystérieux qu'elle lui prêtait autrefois. Elle n'est plus que vulgaire, banale. L'ossature de son visage lui apparaît soudain trop vivement.

    Plus rien ne les relient l'une à l'autre, et elle saisit soudain qu'elle lui fait plus de mal que de bien avec ses élans de rage incontrôlables, ces moments où elle cherche et débusque le point qui la fera souffrir puis s'y attaque comme un chien ronge son os, sans répit, jusqu'à la moelle. Elle réalise qu'elle mérite mieux que ça, mieux que cette tendresse coupable et vénéneuse après les crises. Ce n'est pas être trop exigeante que de refuser des demi-mesures, mais se respecter en assumant sa véritable valeur.

    Son calme, alors qu'elle aurait en temps normal réagit avec toute la fougue qui est sienne, provoque un déclic. La tension entre elle deux, lourde, presque sexuelle, atteint son paroxysme, se tend puis claque, élastique invisible. Abis explose :

     - Tu voulais savoir ? Et ben tu vas savoir ! J'avais juste envie qu'elle souffre à en crever. Elle a toujours tout eu, tout ce qu'elle voulait, plus que toi, plus que tout le monde, sans jamais avoir à lever le petit doigt... Je voulais qu'elle aie mal. Cherche pas de raisons, y'en a pas. Ça fait peur hein ? C'est pas de ton monde ça, le mal gratuit !

    Son visage entier est tendu et froid, l'hiver est dans ses yeux quand elle crache ces mots. Après cet élan de vérité nue, elle retombe dans sa chasse malsaine :

    - Fais pas la fille choquée, t'es pire que moi. T'admire tellement ta putain de sœur que tu vois pas qu'elle te vole tout. Parce que, crois-moi, elle te vole tout, et elle s'arrêtera pas. Mais tu rêves tellement d'être comme elle que tu vois rien. T'es minable, Bethsabée.

    Bethsabée esquisse un sourire triste devant ce délire paranoïaque. Elle se lève, prend son sac, marche vers la porte et se retourne avec douceur avant de sortir :

    - C'est bien ce que je pensais. Au revoir Abis.

    Quand la porte claque derrière elle, elle expulse tout l'air qu'elle retenait coincé dans ses poumons. Ses jambes tremblent, mais elle ne laisse couler aucune larme. Et ressent, alors qu'elle marche seule dans les rues désertes, un invraisemblable sentiment de liberté.

    Partir, partir. Fuir là-bas, fuir, bat le sang dans ses veines. Elle sent le vent sur sa nuque nue, un vent chaud d'avenir. Il enveloppe un instant ses jambes avant de la pousser dans le dos. Elle marche. Son sac à dos tressaute contre ses reins au rythme de son pas, un pas léger et volontaire, un pas qui court vers les promesses de la vie, qui l'emmène loin des contraintes, des mensonges et de toutes les choses délétères qui la minaient.

     

     

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    Et oui, j'existe toujours. J'ai déserté la communauté legacienne. Pas que je ne l'appréciais pas, mais j'arrivais au bout

    de je ne sais quoi. J'ai écris ça... en juillet 2015. Soit il y a presque un an. Et même si je n'ai pas eu beaucoup le temps

    ou l'envie d'écrire cette année, je pense que mon "style" (si je peux appeler ça comme ça), a évolué depuis. Et évoluera encore. Encore heureux ! J'aimerais bien plus de simplicité, une langue plus pure. J'ai l'impression d'être mille fois trop littéraire. Et en même temps j'aime bien l'effet "grandes pompes". JE SAIS PAS. BREF. Je suis pas là pour m'auto-critiquer.

     

    Des bisous à ceux qui passent encore par là. Peut-être que je vais songer à une suite, si l'envie me prend.

     


  • Commentaires

    1
    Vendredi 13 Mai 2016 à 20:01

    Oh. Mon. Dieu. EMMA. 

    Tu sais que j'ai des frissons là ? Que genre j'ai les larmes aux yeux ? Bon sang, si tu t'es améliorée depuis j'aimerais vraiment, vraiment lire ça parce que c'est un des meilleurs textes que j'ai lu de ma vie ? Y a une de ces puissances et je t'avoue que j'ai presque eu peur que ouais, ce soit trop lourd un moment, mais non, t'es pas tombée là-dedans, et c'esrt juste magnifique et puissant et...Woh. 

    Le monologue de Mina, la narration à la deuxième et...nan sérieux c'était tellement, je sais même pas comment dire (donne-moi ton vocabulaire please) mais ça te prend les tripes. 

    Et la scène entre Abis et Bethsabée, cette tension, c'est juste incroyable. 

    Je suis tellement contente que tu aies posté, j'avoue, et c'était tout sauf décevant, du genre magique et parfait. 

      • Vendredi 13 Mai 2016 à 20:36

        Moi j'ai les larmes aux yeux devant ton commentaire ! Franchement. Du coup j'ai relu le texte et il m'a paru plus beau après ton commentaire (magie du regard de quelqu'un d'autre). C'est trop trop trop trop adorable ce que tu m'as dit, je suis vraiment touchée ♥

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    2
    Vendredi 13 Mai 2016 à 20:13

    Well, that was cool 
    ça fait du bien de relire ton style un peu même si je crois que j'avais pas lu les dernières majs (mais ce n'est pas tout a fait grave)
    j'ai bien aimé, franchement, t'as un style unique et c'est assez cool.
    je sais pas pourquoi, mais ça me fait un peu penser au film "Dracula" de Coppola. Soit la beauté des plans, soit parce que l'heroine s'appelle Mina, soit parce que j'ai vu ce matin

    Franchement Abis et Bethsabée, je sais pas pourquoi, je les vois encore plus en couple maintenant qu'avant. Je sais pas, elles ont un comportement si... humain entre elles deux. 
    Au passage, je tiens a préciser qu'on est vendredi 13 aujourd'hui (aucune signification, mais ce jour porte malheur, alors c'est toujours bon à savoir)

    Bon ! Du coup j'ai hâte de lire la suite ! Prends ton temps franchement c'est carrément ultra classe.

      • Vendredi 13 Mai 2016 à 20:39

        Le nom de Mina vient vraiment de Dracula, parce que j'avais trop aimé après l'avoir lu ! J'ai jamais vu ce film, il faudra que je le regarde ! Par rapport à Abis et Bethsabée, en fait je me suis vachement appliqué sur le dialogue, parce que je me suis rendue compte qu'Abis était beaucoup trop irréelle et que mes personnages parlaient BEAUCOUP trop bien pour que ça aie l'air réaliste, c'est peut être pour ça C: Merci beaucoup pour ton commentaire ça fait trop plaisir !

    3
    Lundi 6 Juin 2016 à 21:31

    Emmaaaa ! ♥

    J'arrive un peu tard, Neikka et Azie ont déjà tout dit :')
    Je suis vraiment contente que tu sois de retour ! C'est tellement beau, ce que tu écris.. C'est magique, c'est prenant !

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